Rencontres

Camille Chaleil

Dimanche 9 janvier 2022

Photograhies : TIMOTHÉE CHAMBOVET

Diplômée en 2016 de l’Ecole de Céramique de Provence (Aubagne), Camille Chaleil a débuté sa pratique à Marseille, où nous l’avons découverte, puis à Tunis, avant d’installer son atelier dans la ville de Tours, en 2017 : suivez-nous pour une Jolie Rencontre au coeur de la France, au milieu d’un dégradé de terres chamottées empreint d’influences méditerranéennes. 

PEUX-TU TE PRÉSENTER ET NOUS RACONTER TON PARCOURS ?
J'ai principalement grandi entre la Provence et la Corse. J'ai d'abord eu un parcours hétéroclite. J'ai travaillé en restauration à Marseille, puis en communication, et enfin quelques années dans la photographie. J'ai alors eu la chance de travailler pour les Rencontres d'Arles et suis devenue pour quelques mois l'assistante d'Antoine D'Agata. Par ailleurs, il m’arrivait de collaborer avec mon amoureux de l'époque, le père de ma fille, qui est journaliste : lors d'un déplacement en Tunisie pour des cityguides chez Vice et Trax, nous nous sommes rendus au Centre National de Céramique de Tunis, le centre Sidi Kacem Jelizi. Un endroit magnifique et mystique. Sidi Kacem el Jelizi était un Saint tunisien et céramiste. C'est dans cet endroit incroyable, devenu école de céramique, qu'il a vécu et est enterré. Lors de notre visite, il y avait une fête en son honneur, au cours de laquelle j'ai été initiée à la technique du tournage, un moment hors du temps. Je n'avais jamais songé à la céramique, et je n'avais jamais touché à la terre. Ça a été une révélation. En rentrant à Marseille, j'ai cherché une formation que j'ai commencée trois mois plus tard, à Aubagne. Je suis retournée à Tunis pour mon dernier stage, avant mon diplôme. J'ai ensuite déménagé à Tours – une longue histoire – où j'ai ouvert mon atelier, il y a dix huit mois. J'y produis mes pièces, et y donne des cours de tournage et de modelage.
COMMENT TRAVAILLES-TU TES CÉRAMIQUES ?
Je travaille principalement les techniques du modelage et de l'estampage. À la base, j'ai une formation en tournage. D'ailleurs, j'adore tourner, mais cette technique n'est pas compatible avec le rendu que je recherche actuellement. Je cherche un aspect naturel, organique, imparfait. Des pièces semblables mais différentes, inconstantes, poreuses, avec des teintes variables. J'utilise des moules pour certaines pièces, mais je les découpe à main levée, je les déforme ensuite, ou leur ajoute de la matière pour les rendre singulières. Je travaille avec des terres que je crée moi-même, à partir de deux terres que je mélange, et que j’agrémente d'une chamotte que je fabrique. Grâce à ce procédé, j'ai créé une palette de teintes : du blanc au roux lorsque les pièces sont brutes, du blanc au brun lorsqu'elles sont émaillées. Les terres ne sont pas lisses, elles présentent des éclats, des aspérités, souhaitées, mais non-maitrisées.
QUELLES SONT TES SOURCES D’INSPIRATIONS ?
La Méditerranée, principalement. J'ai passé une bonne partie de ma vie en Corse. J'y ai passé chaque vacance depuis ma naissance, dans la maison de ma grand-mère et de mon arrière grand-mère. Je suis bouleversée à chaque fois que j'y retourne, et que je sens l'odeur de l'île. J'ai grandi en Provence, puis j'ai passé dix ans à Marseille. À vingt-quatre ans, je suis tombée amoureuse de la Tunisie, de sa lumière et je m'y suis rendue autant que j'ai pu. J'aime le paradoxe de la Méditerranée. Le choc entre des traditions immuables, et la modernité amenée par autant de peuples en mouvement. C'est la région du monde où rien ne bouge, et tout bouge à la fois. C'est l'amour, la chaleur, la rondeur, la violence et la dureté. C'est un paysage calme et dur, une atmosphère tranquille et électrique. L'affrontement et l’équilibre entre la terre et la mer, si intense en Corse par exemple, où la montagne tombe directement dans la mer. Pour moi, aucun autre paysage n'est aussi puissant. C'est également ce que je mets dans mes pièces. Elles sont rondes mais brutes. Elles sont solides et douces à la fois. J'ai essayé de leur donner les couleurs de la Méditerranée. Le blanc de la lumière qui brûle les yeux, le jaune du sable, et le roux de la terre de Provence. Je leur donne des formes imparfaites. J’arrête mon geste pour que l'imperfection donne la sensation de vie.
QUELLE SERAIT LA PIÈCE QUI PARLERAIT LE MIEUX DE TON TRAVAIL DE CRÉATION ?
La bouteille. C'est finalement l'objet qui me ressemble le plus, et que je prends le plus de plaisir à faire. Je la façonne au pincé et au colombin. J'en fais de toutes les formes. Parfois d'une ou plusieurs couleurs. Je ne les dessine pas toujours, et je prends souvent la liberté d'abandonner mon gabarit en cours de route. Je peux alors finir avec une forme légèrement différente de celle prévue. J'utilise aussi souvent des restes de terres mal rangées et non identifiées. Ainsi, j'ai souvent une surprise à la sortie du four – en général un mois après le façonnage –, et j'aime ce genre de surprises ! C'est dans cette pièce que je retrouve le plus l'idée de paradoxe, qui m'est si chère. Le paradoxe de la Méditerranée, et le paradoxe de la céramique, un mélange parfait de technique et de surprises, de maîtrise et de lâcher-prise.
QUEL EST TON DERNIER COUP DE CŒUR ARTISTIQUE ?
Deux coups de cœur, Alice Guittard et Manoela Medeiros. Ce sont deux artistes que j'ai découvert grâce à Nicolas Veidig, à la Double V Gallery, à Marseille. J'aime la dimension artistique de leur travail, mais aussi le geste artisanal que l'on devine derrière la pièce terminée. Alice Guittard représente souvent des mains dans son travail. C'est une partie du corps éloquente, j'y suis très sensible. Manoela Medeiros, elle, inverse le processus de création par soustraction de matière. Son travail me parle et m'interroge beaucoup.
PEUX-TU NOUS EN DIRE PLUS SUR TES PROCHAINS PROJETS ?
J'ai des milliers d'idées et d'envies. J'aimerais repartir en Tunisie pour aller visiter Sejnane, un village de potières au nord-ouest du pays. Les femmes y créent des sculptures puissantes. Elles extraient la terre, la façonnent puis la cuisent en enfumage, dans des fours creusés à même le sol. Je les ai rencontrées à Tunis, et je ne cesse d'y penser depuis. J'aimerais aussi prendre le temps de sculpter. Et continuer à me former. C'est ce que je me promets pour les mois à venir. En attendant, je commence une collaboration en janvier avec mes amies designeuses de Hors Studio. Elles mènent un travail de recherche et d'expérimentation sur la valorisation des chutes et déchets de production industrielle et artisanale. Elles créent de nouvelles matières à partir de matériaux recyclés. Leur studio vient d'élaborer le Leather Stone, une matière issue de chutes de cuir, que nous allons tenter de mettre en forme avec les techniques que j'utilise en céramique.
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