Rencontres

Gaia Bongiorno

Jeudi 13 juillet 2023

Photographies : Mariya Korostelyova

La Sicile, Gaia Bongiorno l’a dans le sang. Elle se déplace d’ailleurs toujours avec un paquet de pistaches de Bronte dans sa valise, sa machine à pâtes et un morceau de poutargue. Après une première vie dans la danse, la cheffe itinérante s’est passionnée pour les produits de son territoire, et mise en tête de reproduire la cuisine italienne qui a bercé son enfance. Pour sa résidence chez Sessùn Alma, jusqu’au 29 juillet, elle propose une cuisine traditionnelle, familiale et généreuse. Rencontre avec une passionnée.

Comment et quand as-tu commencé à cuisiner ?

Je suis née à Palerme en 1988. Ma vie est marquée par deux grandes passions : celle de la danse et celle de la table. Dans ma famille, les moments les plus heureux étaient toujours ceux où nous étions assis autour d'une table. Nous nous taisions si nous nous étions disputés et les cœurs se réconciliaient après quelques fourchettes. 


J'ai d’abord travaillé comme danseuse professionnelle jusqu'à l'âge de 23 ans. Mon monde était celui du hip-hop italien. Après la crise économique de 2008, j'ai commencé à travailler en tant que serveuse, puis j'ai lentement glissé vers la cuisine. 


J'ai étudié au Cordon Bleu de Florence. Une ville merveilleuse qui respire toutes les saveurs. Depuis cette année-là, en 2011, je n'ai jamais cessé de tenir un couteau. La cuisine a remplacé la danse. Pour moi, cuisiner, mélanger, fouetter, pétrir, c'est comme un ballet. Un rythme incessant, le cœur et le palais en harmonie. 

Tu as vécu à Palerme et à Raguse, peux-tu nous en dire plus sur la gastronomie locale ?

Je suis née à Palerme, mais ma mère est originaire de Ragusa, dans l'est de la Sicile, et mon père de Castelvetrano, dans l'ouest de la Sicile. Chez nous, ces deux cultures se sont toujours mélangées. En Sicile, chaque région est très particulière et différente des autres. Même les dialectes changent en quelques kilomètres. 


Ma sicilianité m'a toujours accompagnée et caractérisée. Plus je m'éloignais, plus elle devenait forte et se traduisait par des saveurs, parfois aigres-douces, parfois par des couleurs, ou tout simplement par des recettes qui m'accompagnent depuis mon plus jeune âge. À la maison, il y avait toujours de la "bonne huile". La caponata dans le frigo, le pain noir le dimanche. La ricotta chaude. Le vendredi, mon père apportait des caisses et des caisses de poisson et ma mère passait le week-end à le cuisiner pour nous (et pour les voisins, vu les quantités).

Qu'as-tu appris de tes expériences italiennes ? Parle-nous de ta relation avec la cuisine italienne.

Il y a environ 6 ou 7 ans, j'ai été témoin d'un changement dans la restauration. Une plus grande attention était portée aux ingrédients, à leur provenance et à leur saisonnalité. Ce qui semblait de prime abord limitant est devenu une grande source d'inspiration pour moi.


J'ai rencontré des passionnés qui m'ont appris à choisir une bonne huile, à attendre que le temps change, à respecter un processus de production lent et incertain. Le froid ou la chaleur, la pluie ou la sécheresse sont devenus les lignes directrices pour choisir les ingrédients les plus frais. 


En Italie, nous bénéficions d'une biodiversité unique. La situation géographique du pays nous permet de produire de grandes quantités de légumes, de fruits, de produits laitiers et d'élevage uniques.

Pourquoi as-tu choisi de devenir cheffe itinérante ?

Je ne suis pas dans un état d’attente, mais plutôt d'espoir ! Jusqu’ici, j’ai eu beaucoup de chance, mes choix ont débouché sur de belles expériences diverses et variées. J’ai cuisiné la Provence, l’Asie, la ville, la campagne, le bio… Dans un souci de cohérence, de lisibilité ou possiblement juste par peur de ne pas rentrer dans une case, et donc d'être boudée du public, je me suis souvent brimée dans ma pratique. Chez Sessùn Alma, j’aimerais cuisiner plus librement, en faisant fi de ce qui peut se dire de ma cuisine, et par extension de moi. Je compte me préoccuper de ce qui compte vraiment : l'éthique, le goût et le plaisir (du client et le mien).

Que t’évoque Marseille ?

Marseille me rappelle Palerme. Peut-être à cause de la mer, ou des gens qu’on peut croiser au port. En tout cas, la ville me rappelle beaucoup ma ville natale. Le simple fait d’être ici me procure un très grand plaisir. Avoir la chance de vous faire goûter certains plats est mon plus grand cadeau.

Peux-tu nous donner une idée de ce que nous pourrons déguster pendant ta résidence chez Sessùn Alma ?

Je proposerai une cuisine simple, italienne, traditionnelle, familiale. J’essaierai de reproduire les parfums avec lesquels je me réveillais quand j'étais enfant. J'ai hâte de commencer cette aventure et je suis sûre que vous voudrez bientôt voyager en Sicile.

Tu es en train de mettre en place un atelier de cuisine à Raguse. Peux-tu nous donner un aperçu du projet et de ses objectifs ?

J’espère que quand vous aurez goûté ma cuisine, vous aurez envie d’y revenir. Ce sera possible à Marina di Ragusa, où je vis actuellement ! Je suis en train de rénover ma maison familiale et d'ouvrir un petit restaurant à domicile. Pour quelques personnes seulement, 10 couverts au maximum. Il n’y aura qu’une seule table, où nous parlerons de cuisine, de vin, d'art, d'histoire. Comme dans les maisons italiennes.

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