CRÉDIT PHOTOS : Sarah Balhadère
Passionnée par les techniques artisanales anciennes et le folklore régional, riche de son héritage familial lié au monde agricole, Emma Bruschi remet au goût du jour des savoir-faire domestiques comme le tressage de paille de seigle dans ses créations sensibles et délicates. Après avoir remporté le trente-cinquième Festival international de Mode, de photographie et d’accessoires de Hyères, elle continue de travailler cette matière première rustique depuis son atelier en Haute-Savoie. Pour son atelier chez Sessùn Alma, Emma Bruschi proposera une initiation à la réalisation de bouquets de moissons.
Quel est ton parcours ?
J’ai grandi à Marseille, puis je suis partie faire des études de design de mode en Belgique (Saint-Luc) et en Suisse (La HEAD). J’y ai développé et affiné une esthétique autour du vêtement et appris ce qui est ensuite devenu mon métier. À la fin de mes études, j’ai fait un stage au sein du magazine Regain, une revue autour de la nouvelle génération agricole. En parallèle, j’ai eu la chance d’être sélectionnée comme finaliste pour le trente-cinquième festival de Mode d’Accessoire et de Photographie de Hyères en 2019, où j’ai remporté le prix 19M Métier d’Art de Chanel. Depuis, je travaille en indépendante dans mon atelier situé en Haute-Savoie.
Comment t’es venue l’idée de travailler la paille ? Qu’est-ce qui t’a attirée dans ce matériau ?
Une partie de ma famille étant issue du monde de l’agriculture, j’ai été très tôt en contact avec la paille. Pourtant, je ne l’avais jamais envisagée comme matière première pour ma création. C’est pendant ma deuxième année de Master que j’ai découvert ces objets magnifiques que sont les bouquets de moisson. J’ai tout de suite été frappée par la finesse de ces réalisations, j’ai cherché à en savoir plus et à trouver des personnes qui détenaient encore ce savoir-faire. J’ai alors découvert l’existence d’un musée de la paille à Wohlen en Suisse, qui regorge de véritables trésors. L’équipe a eu la gentillesse de me mettre en contact avec des personnes qui m’ont transmis leurs techniques. J’aime l’idée de travailler une matière première brute, et pouvoir la transformer à l’envi. J’aime aussi son histoire et son symbole. Les céréales sont étroitement liées à l’Homme et elles ont un rôle très important dans la paysannerie.
À travers tes créations, tu fais revivre des techniques d’artisanat domestique comme la dentelle ou le tressage de paille de seigle. Que cela signifie-t-il pour toi ?
Je suis passionnée par toutes ces techniques domestiques qui n’étaient pas forcément des métiers mais des savoir-faire que l'on se transmettait, qui étaient pratiqués à la maison, pour embellir les objets du quotidien. Je suis très touchée par l’idée des heures passées à concevoir une pièce artisanale, par le fait que l’on ressente pleinement les gestes et l’histoire de la personne qui l’a façonnée. Pour moi, il est nécessaire de revaloriser les savoir-faire domestiques qu’on a peu à peu mis de côté et considérés comme des pertes de temps. Je pense au contraire qu’ils contiennent tout ce à quoi notre temps devrait être employé : de l’amour, du partage et de la beauté.
La nature est au cœur de ta démarche créative. Tu cultives d’ailleurs la paille pour tes prochaines créations, dans une ferme en Haute Savoie. Quels sont tes liens avec le monde agricole ?
Ma famille maternelle est basée en Haute-Savoie, j’ai passé toutes mes vacances sans exception dans la ferme de mes grands-parents qui sont paysans. Cela m’a nourri et fait partie de mon héritage familial. C’est un monde qui m’a toujours plu, où je me sens bien et que j’admire beaucoup. Quand j’ai commencé à créer pendant mes études, je me suis naturellement tournée vers les matières que je trouvais là-bas : sacs en toile de jute rapiécés, anciennes blouses de travail… Je me suis aussi souvent inspirée de la nature et de ce territoire. Ainsi, quand j’ai commencé à travailler avec la paille, mon oncle Eric Vergain a gentiment accepté de planter une parcelle de seigle dans ses terres. Et depuis, chaque année nous organisons une joyeuse journée de récolte à la faux.
Parle nous des artisans avec lesquels tu as collaboré pour ta collection Almanach, et pourquoi ces rencontres sont importantes pour toi ?
J’ai pu collaborer avec de nombreux artisans pour l’élaboration de cette collection : souffleur de verre, forgeron, vannier, fileuse de laine… Ce sont des moments d’échange très importants durant lesquels j'apprends beaucoup, ce sont des personnes très inspirantes de par leur parcours, leur démarche et leur créativité. C’est souvent dans les techniques elles-même que je puise mon inspiration et je suis toujours très curieuse d’en découvrir de nouvelles.
Quelle pièce serait la plus représentative de ton travail ?
Je dirais la longue chemise en cordelette de paille crochetée, une de mes pièces préférées. Elle est faite entièrement de paille et a nécessité plus de quatre cents heures de travail. C’est une coupe de chemise si large qu’elle en devient une robe, la matière est en paille, travaillée au crochet, avec un point qui donne un effet filet. J’aime cette pièce car elle a un côté hors du temps, présentée sans contexte elle pourrait tout aussi bien appartenir au passé qu’au futur.
Quelles sont tes inspirations ?
Je m’inspire principalement de techniques artisanales anciennes, de fêtes folkloriques, de costumes régionaux, du vestiaire agricole, d’objets de l’art populaire. Mais aussi de mon histoire personnelle, de ma famille, des lieux qui me sont chers, de la nature et de ses curiosités.
As-tu un rituel ou une habitude qui rythme ton travail à l’atelier ?
Lorsque je travaille la paille, je commence toujours par remplir mon bac avec une jarre d’eau car la paille doit tremper un certain temps pour s’assouplir avant de pouvoir être travaillée. J’ai également la chance d’avoir un petit bout de jardin au pied de mon atelier. Au printemps, j’aime beaucoup venir un peu plus tôt et m’occuper du potager.
Pour ton atelier chez Sessùn Alma, tu vas enseigner une technique artisanale de tressage de paille. D’où vient cette pratique ?
Les bouquets de moisson ont existé dans quasiment toutes les cultures et à toutes périodes, c’est impressionnant de voir à quel point nous avons tous eu la même envie de magnifier cette matière qui se trouve autour de nous pour célébrer ce moment important qu’est la moisson. C’était souvent un symbole de fertilité, un objet porte-bonheur, offert en offrande à la terre ou bien à la maîtresse de maison qui avait reçu les travailleurs saisonniers.
Combien de temps nécessite en moyenne la confection d’un bouquet de moisson ?
Cela dépend de la taille et du niveau de détails, pour ceux que je propose à la vente cela peut aller de quelques heures à plusieurs jours. Il faut découper la paille, la trier, la couper, la corder, la tresser, fabriquer les ornements…
Tu as récemment ré-imaginé un objet oublié de la table, le porte-couteau, dans le cadre d’une exposition collective menée par Sarah Espeute. Que t’a inspiré ce projet ?
J’ai beaucoup aimé l’invitation de Sarah, j’expérimente depuis quelque temps l’idée d’étendre mon univers à celui des objets et notamment l’art de la table. C’était donc une belle occasion ! Cela m’a aussi donné envie d’apporter encore plus de soin à dresser une belle table et d’organiser plus de grands repas avec beaucoup de convives.
Que t’évoque Sessùn ?
Ayant grandi à Marseille, j’ai toujours connu Sessùn comme une fierté locale, et aujourd’hui avec la création de Sessùn Alma, la marque est encore plus impliquée dans sa ville natale. J’ai des souvenirs de vitrines et de balade avec ma mère, on s'arrêtait toujours voir la boutique rue Sainte.