Photograhies : FLORIAN TOUZET
Emmanuelle Roule est designer et céramiste. Elle a mis les mains dans l’argile en 2012 et depuis 2019, elle initie Patrimoine vivant un projet de recherche appliquée axé sur le matériau terre et ses possibles ; en questionnant nos modalités de production et de construction d’espaces, de mobilier, d’objets dans un contexte économique, écologique bouleversé et en mutation. Elle développe notamment des associations argile / biopolymères comme la cire naturelle d’abeilles et des fibres végétales.
Un projet qui lie les champs du design, de l’architecture, des métiers d’art et du vivant. Rencontre avec une tête chercheuse passionnée par le matériau terre.
Depuis 2019, tu travailles sur un projet intitulé « Patrimoine vivant » qui explore les possibles applications du matériau terre : peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Pour contextualiser la genèse de ce projet : en 2007 je fonde mon studio de création et j’intègre ce projet avec les abeilles qui va durer dix ans. Parallèlement en 2012, de manière un peu accidentelle je mets les mains dans la terre dans le désir d’une pratique exutoire et l’occasion de me frotter à de nouveaux matériaux. Au départ, c’est une pratique hebdomadaire, 3 heures par semaine aux côtés d’un prof assez génial, Patrick Loughran. En 2017, tout s'accélère quand je cofonde avec trois autres céramistes un atelier et un collectif nommé gangster dans le quartier de Bastille à Paris. Il y a eu la magie de fonder son espace, de penser une pratique à huit mains… Cette aventure a duré 3 ans. Elle s’est arrêtée début 2020 indépendamment du contexte de la pandémie, mais davantage en raison de l’écho rencontré par gangster et du développement de nos pratiques individuelles. gangster a joué un vrai rôle de tremplin pour nous toutes, la plupart d'entre nous ont depuis déménagé pour accroître notre pratique et surtout avoir un espace de travail plus adéquat et plus grand. Début 2019, j’ai souhaité, au regard des enjeux climatiques, centrer mon travail de recherche sur ce qui m’intéresse le plus fondamentalement, c’est-à-dire le matériau en lui-même, la terre, qu’elle soit crue ou cuite. L’argile est le matériau le plus ancien avec le bois et qui incarne aujourd’hui, à l’heure de l'accélération du réchauffement climatique, la perte de biodiversité et la raréfaction des ressources et matières premières, une alternative qui ouvre un champ des possibles conséquent. Il est un matériau pérenne, non polluant, multi-usages, recyclable, peu coûteux et présent quasiment sur toute la planète, et qui est pourtant encore sous-considéré et sous-utilisé. Travailler l'argile permet de croiser une histoire du temps et des savoir-faire ; du plus ancestral à des innovations actuelles, depuis une ingénierie de pointe qui emploie notamment la céramique pour la conception de pièces de fusée, des isolants électriques de ligne à haute tension ou de prothèses dans le milieu médical… Il est un matériau qui bâtit et qui nourrit, croisant autant le champ de l’agriculture que du bâti. Ce projet de recherche met en lumière le patrimoine vivant et global que constitue notre sol. L’avenir est sous nos pieds. Patrimoine vivant, un projet de recherche appliquée et un plaidoyer pour la terre, qui a vocation à valoriser une filière multi-usages du matériau argile qui lie nos espaces de vie à nos modes de vie (nature / culture / alimentation). Le projet a vocation à fédérer un réseau de partenaires et de savoir-faire autour de ce matériau commun, du potier qui extrait sa propre terre aux industriels qui fabriquent des pièces en céramique issue d'une technologie de pointe. L’intention est de viabiliser et pérenniser des process de fabrication, qui permettront à terme de générer un système argile transdisciplinaire(habitat, mobilier, objet, alimentation), durable et accessible au plus grand nombre.
As-tu un rituel qui rythme ton processus de création à l’atelier ?
L'arrivée dans l’atelier. Je regarde les pièces en cours souvent en phase de séchage ; puis je sors mon enceinte, je lance la musique, je mets ma tenue d'atelier, des chaussures adéquates et j'enfile mon tablier. Puis je sélectionne les outils dont j’ai besoin pour la séance et je me lance.
Parle-nous de la pièce que tu as imaginée pour la carte blanche « Floraison Créative » de Sessùn.
J’ai réalisé une déclinaison de nouvelles pièces, à mi-chemin entre le design et l’art. Une série de 5 appliques murales, des pièces sculpturales et uniques déclinant des formes s’inspirant de registres architecturaux teintés d’anthropomorphisme. Cette série nommée SUMU renvoie aux autres, à la diversité, à la cohabitation et à une idée, une manière d’habiter. L’ensemble des pièces est réalisé en grès blanc brut ou émaillé, cuit à basse ou haute température, déclinant des nuances de beiges et des rendus mats, texturés, mises en relief par la source lumineuse qui les traversent.